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Un des visages du cinéma indépendant américain : John Cassavetes

Connaissez-vous cette sensation… Vous savez, celle que l’on éprouve après avoir été bouleversé par un film ? C’est ce que le cinéma cherche à nous faire ressentir constamment. Que le propos soit léger, voire presque futile, ou qu’il questionne des problématiques plus lourdes, il tente de provoquer une réaction. Un film est certes soumis aux interprétations, aux déformations, parfois même aux diffamations, mais quand bien même, il reste un médium qui modèle. Modèle un cadre, modèle des corps, modèle une perception, modèle des mentalités. Et s’il y a bien un nom qui entre en contraste avec ce principe de “modalités”, c’est celui de John Cassavetes. Ce cinéaste américain rêvait de s’émanciper, laissant derrière lui les studios et le star-system hollywoodien, bien trop superficiel à ses yeux. À l’époque (années 50-60), les questions sociologiques qui lui étaient très chères n’étaient pas franchement abordées dans les films. Il décide d’y faire entrave et devient alors une figure forte du cinéma indépendant américain. En témoigne sa démarche artistique hors du commun : il opte pour un cadre très peu fixe, où les corps filmés renvoient à une notion de flux continuel ; il laisse les acteurs improviser, leur conférant ainsi un réel impact sur leur personnage où infusent réalité et scénarisation ; le film n’est pas fixe, mais bien une entité changeante, presque expérimentale. Aussi utopiste que cela puisse paraître, il travaille tout au long de son œuvre avec les mêmes acteurs, devenus sa seconde famille. Sans oublier Gena Rowlands, son épouse, qui tient un rôle important dans la quasi-totalité de ses films. Aussi et surtout, il souhaite montrer de vrais gens, confrontés aux difficultés réelles de la vie. Finalement, s’intéresser au cinéma de Cassavetes, c’est aussi s’intéresser à cette troupe, à leurs combats et à leur grande sensibilité.

“Le cinéma est une enquête sur notre vie, sur ce que nous sommes, sur les responsabilités que nous avons.”

Il se penche notamment sur les problématiques sociologiques qui touchent les classes moyennes à populaires. Le 7e art lui permet de mettre en scène des antihéros, en apparence marginaux et intérieurement profondément authentiques. Autrement dit, ils font miroiter ce que chacun d’entre nous pourrait expérimenter au cours de sa propre vie. Les messages derrière ces personnages problématiques ne sont que le reflet d’un malaise social présent dans la réalité de l’époque.

CREDIT PHOTO: John Cassavetes sur le tournage de Shadows, 1958

L’amour au coeur du discours

Des personnages soumis à leur identité et leur statut

Même si un malaise se fait ressentir dans les films de Cassavetes à travers des personnages torturés, l’amour n’est pas en reste. Il est systématiquement question de couple, de fratrie, et/ou d’amis. Les interactions entre les êtres humains au sein du cadre (de la caméra) font le cœur du propos, et laissent le spectateur s’immerger dans une réalité fictive criante de réalité. Un rythme intense est alors insufflé par un cadre très mouvant – Cassavetes adore filmer en caméra à l’épaule. Des courses-poursuites aux scènes de danse, en passant par des disputes virulentes, c’est ainsi que l’humanité s’exprime, où des émotions parfois vives, parfois tendres jaillissent. L’intimité est au service de l’amour dans les films de Cassavetes. Et ce depuis ses débuts : dans Shadows, son premier succès, Lelia est un très bon exemple. On suit cette protagoniste dans sa quête de l’amour et beaucoup de moments intimistes lui sont attribués. On la voit flirter, être avec ses frères, le tout baigné dans une émotion rebelle, qui se veut sincèrement sentimentale. Le ton est alors donné, l’amour est un sujet récurrent, omniprésent, dans tous les films de Cassavetes ; on le retrouve dans tous ses films sous toutes ses formes : conjugal, fraternel, parental mais également amical. Toutes ces sphères s’entrechoquent et laissent échapper une énergie vitale avec l’amour comme principal moteur.

Si l’amour permet de faire avancer la machine Cassavetes, c’est pour continuellement questionner la notion d’identité chez les personnages et, fatalement, chez le spectateur. Qu’importe le film, ils (les personnages) remettent en question leur existence et leur rôle au sein de la société. Dans Minnie et Moskowitz, les deux protagonistes éponymes sont soumis à une pression insufflée par leurs mères : Minnie, bourgeoise, doit être propre sur elle, se tenir droite, soigner son image ; Moskowitz, prolétaire, doit faire preuve d’ambition, trouver une femme et assumer ses responsabilités. Finalement, lorsqu’ils sont ensemble, les allers-retours entre leurs désirs et les injonctions qu’ils subissent mettent leur couple à l’épreuve et donnent lieu à des scènes chaotiques. On retrouve finalement cette notion évoquée plus haut de “entrechoquements”. Malgré cela et leur différence – Minnie qui incarne la stabilité et Moskowitz son inverse -, la communion de deux univers sociaux devient alors possible.

CREDIT PHOTO : Gena Rowlands et John Cassavetes

Une prise de position forte quant aux discriminations

Cinéma indépendant rime avec émancipation. Et qui dit émancipation dit rejet des normes. Cassavetes punit sévèrement les discriminations, au point de lui-même faire des apparitions dans ses propres films. On le voit intervenir dans Shadows, lorsque Leila se fait harceler devant un cinéma, alors qu’elle contemple les films à l’affiche. Il vient violemment interpeller l’homme qui abusait très largement de sa supériorité masculine sur la jeune femme. Une apparition éclair (l’unique du film), mais qui fait retentir la colère du cinéaste à l’égard de la sexualisation de la femme et plus globalement, du patriarcat. Il remet également en question l’image et les stéréotypes liés aux femmes prostituées dans l’iconique Faces. Alors qu’un homme en mal d’amour de la part de son épouse se retrouve à fréquenter une prostituée, cette dernière se met à lui préparer le petit déjeuner. On brise les codes, et on donne à voir ce qu’on n’a pas l’habitude ne serait-ce que d’imaginer. Avec un tel constat, il n’est pas surprenant que des thématiques comme le racisme ou l’émancipation sexuelle interviennent dans l’œuvre de Cassavetes. À l’aube des années 70, son cinéma s’ancre totalement dans le paysage social de l’époque, où une certaine poésie, lucide de ses propres failles, participe à sa tribune.

CREDIT PHOTO : De gauche à droite Peter Falk, John Cassavetes et Ben Gazzara sur le tournage de Husbands, 1970

Cassavetes voue une grande énergie à la réalisation de ses films en injectant ses valeurs et en délivrant un témoignage sur la société qui l’entoure. Il fédère tout au long de sa filmographie des acteurs, devenus une réelle troupe, avec qui il dirige et produit ses films. Engagé, il propose une autre vision du cinéma. Un cinéma indépendant, libre de tous codes systémiques et artistiques. Sa caméra à l’épaule, il transmet à travers sa pellicule l’importance de continuelles remises en question, avec pour élément central l’humain. L’esthétisme de ses films est singulier et reconnaissable. Nous ne pouvons que vous inviter à vous pencher sur son œuvre, toujours aussi criante de réalité aujourd’hui.

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