“Émancipez-vous, même s'il faut vous mettre à hurler ou à mordre.”
ORLAN
Que vous vous trouviez dans son atelier parisien haut en couleurs ou bien dans les galeries du monde entier, ORLAN laisse une marque indélébile dans votre esprit.
Engagée depuis son adolescence, on ne saurait surestimer son rôle de pionnière dans le domaine des arts visuels. La création d’œuvres hors normes, qui reflètent son image singulière, rythme le quotidien de cette icône du féminisme.
Laissez-vous surprendre par son parcours riche en matières, en symboliques et en audace, et appréciez tout ce qu’il a à vous transmettre.
C’est un moment en suspens, une occasion de redécouvrir ORLAN, ses combats et ses ambitions.
D’abord, je voudrais me présenter. Je suis ORLAN entre autres, et dans la mesure du possible. Et mon nom s’écrit en lettres capitales, parce que je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans les rangs, je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans la ligne. Je suis une artiste qui n’est pas assujettie à une pratique artistique, à un matériau, à une technique, à une technologie ancienne ou actuelle. J’essaie de dire des choses importantes pour mon époque en étudiant des phénomènes de société. Une fois positionnée par rapport à lui, à ce moment-là, je me demande quelle matérialité je vais lui donner. Donc j’ai travaillé avec, comme vous voyez ici, beaucoup de photos, beaucoup de vidéos. J’ai cultivé mes cellules, j’ai cultivé ma flore vaginale, ma flore buccale, ma flore intestinale. J’ai travaillé avec énormément de médias différents : la réalité augmentée, l’intelligence artificielle, la robotique, certaines de mes sculptures sont en marbre de Carrare. Je suis même en train de créer mon musée en métaverse. Actuellement, j’ai plusieurs chantiers en cours, notamment une série intitulée : “JE T’AUTORISE À ÊTRE MOI, JE M’AUTORISE À ÊTRE TOI”. C’est l’idée, en toute sororité, de dire mon admiration à des femmes de l’Histoire qui ont soutenu des causes – bien avant moi – et qui mettent en valeur la femme, à qui je déclare mon admiration. Je trouve les endroits, les porosités, les images avec lesquelles on peut tout d’un coup communiquer, où on peut correspondre elles et moi. Il s’agit d’une nouvelle série qui est très importante.
Ada Lovelace, première programmatrice : « c’est grâce à elle si on peut fabriquer des algorithmes et si j’ai pu travailler avec le Minitel ou encore construire mon robot. »
Oeuvre issue de la série JE T’AUTORISE À ÊTRE MOI, JE M’AUTORISE À ÊTRE TOI. »
“Touche-à-tout” est un terme que je déteste. Je ne touche qu’à ce que j’ai besoin d’utiliser parce que c’est pertinent. Ce n’est pas l’idée de simplement créer quelque chose seulement parce que ça nous amuse. Il faut de la cohérence. Quand je fais une œuvre, je veux que ce soit à la fois un manifeste et un corps. Il faut un propos et une matérialité : une colonne vertébrale et de la chair.
Non, parce que quand on commence extrêmement jeune comme moi, on fait comme tout le monde, c’est-à-dire une remontée de l’Histoire de l’Art. On fait du figuratif, du semi-figuratif, de l’abstrait, de l’abstrait géométrique, de l’abstrait lyrique, etc. On expérimente, on essaie des choses pour pouvoir se situer. Et puis bien-sûr, on est de plus en plus spécialisé par rapport au médium et au concept qu’on est en train de travailler.
Première image : photo de la série CORPS-SCULPTURES : TENTATIVE DE SORTIR DU CADRE, 1965.
En-haut à droite : Robe qui sert d’ORLAN-CORPS, une unité de mesure, qui a servi à l’artiste lors de différentes performances.
EN-bas à droite : Masques moulés d’après le visage d’ORLAN dans son atelier.
Je ne vais pas essayer d’en dégager une définition universelle. Chaque artiste le définit à sa façon. L’art c’est vraiment une bête sauvage qui échappe à tout piège, à tout apprivoisement. Et puis il se dérègle sans arrêt, ça change, ça bouge, il n’a pas une identité fixe. Idées fixes, pour lesquelles je suis toujours contre. Je suis en revanche pour les identités nomades, mutantes, mouvantes. Les identités qu’on remet en question.
Il n’y a pas un endroit qui est propre, qui est destiné au féminisme. Le féminisme, ça s’exprime du soir au matin et de nuit. Parce que le corps est politique, que tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit est politique. C’est un combat dans tous les domaines, autant d’ordre du privé que du public.
Écoutez, il y a énormément d’œuvres, comme j’ai toujours été pionnière. Elles ont choqué, ont été controversées, sont entrées en résistance avec les gens. Donc il n’y en n’a pas qu’une seule. Bien-sûr, Le baiser de l’Artiste est un très bon exemple, puisque j’ai été renvoyé de l’école dans laquelle j’enseignais à cause de cette œuvre. Il y a aussi Les opérations-chirurgicales-performances, puisque j’ai fait des opérations chirurgicales qui n’étaient pas censées apporter de la beauté, mais au contraire de l’horreur, de l’indésirabilité, de la laideur, de la monstruosité. Ça a énormément choqué. Personne n’a voulu entendre que j’utilisais la chirurgie esthétique pour la dérégler, et pour en faire complètement autre chose que ce à quoi elle sert initialement. Autrement dit, pour remettre en question tous nos stéréotypes. La plupart des personnes sont passées complètement à côté de ce que je voulais dire. En effet, j’ai fait placer des implants qu’on met habituellement sur les pommettes de chaque côté du front pour que cela fasse deux bosses. On a dit que j’étais folle. On a dit que ce que je faisais n’était pas de l’art, à l’image de ce qu’ont connu les impressionnistes ! Au départ, on les critiquait et maintenant, leurs œuvres valent très cher et sont sur les boîtes de chocolats à Noël. J’espère que c’est ce qui va m’arriver.
En haut : Photo d’ORLAN opéré par le Dr. Bernard Cornette de Saint-Cyr et costumée par le créateur Paco Rabanne lors de la 4ème opération-chirurgicale-performance dite Opération Réussie, le 08 Décembre 1990 à Paris.
La robe qui a été portée repose sur l’oeuvre ORLAN accouche d’elle-m’aime, 1964, en-bas.
Oui, bien-sûr que ça a mûri avec mon œuvre et que j’ai décidé de faire ça, plutôt qu’autre chose. La chirurgie esthétique me paraissait un phénomène sociétal extrêmement important et j’avais envie de me positionner vis-à-vis de cela. Je ne suis pas du tout contre la chirurgie esthétique, je suis contre ce que la plupart des gens en font, en essayant de ressembler à des stéréotypes.
Toutes les sociétés, toutes les cultures, toutes les civilisations ont façonné les corps. Et non seulement les corps, mais également ce qu’il y a à l’intérieur. Vous avez ici dans ce loft une œuvre que vous pourrez voir, qui est une self-hybridation africaine. On voit une femme tellement heureuse, tellement sûre de sa séduction avec un énorme labret. Eh bien effectivement, la beauté lui était désignée dans sa tribu. C’était un dictat de l’idéologie dominante là-bas, exclusivement appliqué aux femmes. Plus le labret était grand, plus les hommes bandaient. N’importe qui aurait un grand labret à l’heure actuelle dans nos sociétés (occidentales), serait alors rejeté, mis de côté, comme éjecté hors-champ de la sexualité.
Ce n’est pas “plus”, c’est “toujours”. Je suis absolument inconsolable, parce que je me suis battue toute ma vie pour que les choses changent, en particulier sur la position des femmes dans la société. Et je me retrouve actuellement avec l’avortement qui est interdit aux États-Unis et dans bien d’autres pays. Je me retrouve avec des influenceuses qui revêtissent tous les stéréotypes de la femme qu’on a voulu le plus possible éliminer, je me retrouve avec des femmes qui jouent la discrétion, qui restent dans l’ombre, qui parlent avec une petite voix mièvre. Ça m’est vraiment insupportable. J’ai d’ailleurs fait une série qui s’appelle Les femmes qui pleurent sont en colère, pour justement essayer de réveiller ces femmes de l’ombre, qui sont des objets, qui n’arrêtent pas de subir. Je suis partie de deux portraits de Dora Maar en train de pleurer, peints par Picasso. Et je ne pense pas qu’il y avait des oignons dans la pièce, je pense qu’il la faisait vraiment pleurer. J’en ai fait une sorte d’hybridation avec mes propres traits de visage : mes yeux sont exorbités, mon nez est de travers, mes oreilles à l’envers, mes bosses bien-sûr, et puis ma bouche en train de hurler en montrant les dents. J’ai fait ça pour m’adresser aux femmes de l’ombre, qui ne sont pas émancipées et qui restent toujours derrière un homme. De cette façon, je leur ai dit d’arrêter de pleurer, d’arrêter de subir. Émancipez-vous, même s’il faut vous mettre à hurler ou à mordre.
Oeuvre issue des Self-hybridations entre femmes composées en deux actes : “ORLAN s’hybride aux portraits des femmes de Picasso” et “Les Femmes qui pleurent sont en colère”.
Ecoutez je peux vous raconter des anecdotes d’il n’y a pas si longtemps. J’étais à une soirée organisée chez une amie artiste que j’aime beaucoup, avec des amateurs d’art, des collectionneurs etc. J’étais donc entourée de gens qui avaient un certain capital culturel. Dans la soirée, une femme vient me voir, elle avait entre 60 et 65 ans, je précise son âge parce qu’après, il m’est arrivé autre chose avec une jeune fille ; cette dame se met à enchaîner compliment sur compliment, déclarant son admiration, etc. Après qu’elle eut terminé, je lui ai dit : “Mais qui êtes-vous ?”, elle me répondait “Je ne suis rien, je suis personne.” Je me suis mise à hurler. Parce que je ne laisse jamais passer un truc pareil. J’ai hurlé jusqu’à ce que tout le monde s’arrête et j’ai expliqué ce qu’il venait d’arriver. La fête a repris son cours, mais ce n’est pas tout : à 2h du matin, je m’en vais de cette même soirée, et je rencontre une fille sur la route, qui devait avoir 24 ans. Même histoire, elle me complimente tout en étant gênée. Bien sûr, je l’ai arrêtée tout de suite et je lui ai demandé “Mais qui êtes vous ?” et elle me dit : “Je suis la femme de ce monsieur.” On trouve encore des femmes avec les mêmes conneries dans la tête. Vous voyez ce n’est pas ailleurs, c’est à Paris, dans un milieu friqué, avec un capital culturel je le répète. Il y a vraiment du mauvais sang à se faire, je suis assez désespérée et c’est vraiment fatiguant. Il faut se battre tous les jours, à tout moment et tout le temps.
Artistes ou pas c’est pareil !
Vous savez, ce qu’on appelle l’inspiration provient de domaines tout à fait différents. En ce qui me concerne, ce sont les livres qui m’ont beaucoup fait rebondir, qui m’ont agité les neurones. Nous, les artistes, sommes des buvards donc c’est toujours multifactoriel.
Je ne sais pas… Je ne suis pas mécontente quand on me fait des compliments, mais je ne me considère pas en compétition ou en lice pour une course aux louanges. Ce que j’aime c’est m’émerveiller moi-même. Ce qui m’enchante dans mon travail, c’est de réaliser un projet que je me pensais incapable de faire. Le meilleur compliment que je puisse me faire à moi-même, c’est “ORLAN, tu l’as fait et tu l’as bien fait.”.
L’atelier d’ORLAN, avec des membres de son équipe.
Accroché au mûr : Le baiser de l’artiste, 1977.
Penser c’est toujours penser contre soi.
J’ai travaillé deux ans dessus. C’est un projet que j’ai décidé d’entreprendre parce que je souhaite réellement relancer le slow. Lorsque je me suis aperçue qu’autour de ma table, il y avait beaucoup de jeunes qui n’avaient jamais dansé le slow, je me suis dit “Il faut faire quelque chose pour les jeunes, c’est indispensable”. Sentir un corps contre soi, un corps consentant et libre et sentir son odeur, sentir son souffle et sa chaleur dans une danse qui est du côté de la tendresse, de la caresse, c’est quelque chose de fantastique. Il n’y a plus beaucoup d’endroits où on est autorisé à cela. J’ai écrit toutes les paroles qui sont très importantes pour moi et d’ailleurs, « Je t’autorise à être moi, je m’autorise à être toi » est une phrase de l’album. J’ai choisi des musiciennes et des musiciens en leur demandant de me créer une composition musicale très sensuelle et de chanter, bien-sûr. Après cela, j’ai introduit ma voix et s’en est résulté 20 slows. Pour relancer cette danse, effectivement dans tous mes vernissages, mes finissages, mes soirées, mes dîners ou mes conférences, je propose de danser le slow sur mon album, on a fait des clips aussi.
Benat, l’assistant d’ORLAN : On a dû constituer une équipe de gens spécialisés dans ce milieu-là, avec une attachée de presse formidable pour nous donner des pistes, parce que les codes étaient totalement nouveaux pour nous et très différents de ceux de l’art visuel.
ORLAN : Ce qui était important pour moi, c’était la diversité des musiciens et musiciennes choisis. Il y a à la fois des gens absolument inconnus, mais aussi des trésors vivants et des vieilles connaissances. Ça n’a pas été compliqué de les trouver, effectivement, il y a des personnes avec lesquelles j’aurais aimé travailler. Mais c’était trop compliqué de les joindre directement, il faut passer par les agents, il y a toujours des barrières. J’ai failli travailler avec Iggy Pop par exemple ou Björk. J’avais pensé à Grand Corps Malade aussi.
Cover de l’album ORLAN LE SLOW DE L’ARTISTE, 2023
Je me suis laissée surprendre, j’étais prête à partir à l’aventure avec cette chose-là quoi, donc on peut dire que j’ai été comme une…
Benat, l’assistant d’ORLAN : exploratrice !
Oui, on peut dire exploratrice. (sourire)
Très !! Grave. (rires)
J’adore vivre mon époque et à l’heure actuelle c’est fantastique de travailler avec l’intelligence artificielle. C’est un auxiliaire qui nous rend vraiment service et qui nous permet d’aller plus vite. Moi je pense que toute innovation, toute création technologique, est intéressante à scruter, à analyser. Mais bien-sûr, toujours avec une distance critique.
Je n’ai pas de boule de cristal… Pour le moment, j’ai peut-être 10 chantiers en même temps donc tout ce que je peux vous dire, c’est que mes envies se rattachent à beaucoup de choses très diverses.
Partager sur
Adding {{itemName}} to cart
Added {{itemName}} to cart