Doré, tel est son métier…

“Je me suis totalement appropriée cette discipline, c’est une démarche extrêmement personnelle.”

Lucie Monin

Scintillante est la feuille d’or, minutieux est le maniement des outils, passionnée est Lucie Monin ! Si la dorure vous évoque les objets anciens, alors le travail de cette artiste talentueuse changera votre perception de cette technique très peu connue. Décors, fresques, vêtements ou encore accessoires ; laissez les particules dorées envahir l’espace. Le temps d’un instant, un univers radieux s’offre à vous, où Lucie est sans nul doute la meilleure des guides. Découvrez un bout de son parcours, laissez-vous toucher par ses émois, encouragez ses projets hors du commun !

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Quand et comment t’es tu intéressée à l’ancien ?

Depuis l’enfance ! Mon père était militaire, donc j’ai pas mal voyagé. J’allais souvent à la chasse aux objets ! Je farfouillais un peu partout… (rires) J’ai eu la chance de pouvoir accéder aux maisons de mon arrière-grand-mère, qui sont restées dans leur jus. L’une était figée dans les années 20, j’étais comme une folle ! On pouvait y partir en urbex ! Ça me faisait peur autant que ça m’intriguait énormément. Il y a plein d’émotions, encore une fois, qui me viennent quand je suis dans une pièce remplie d’objets anciens, de livres particulièrement.

Et à ce métier de doreuse graveuse ?

J’ai d’abord été étudiante au Centre des Arts du Livre, où j’ai découvert la pratique de la dorure et ai pu m’y essayer assez jeune. Je suis tombée amoureuse de cette technique là-bas. Et puis, les livres me fascinent : il y a une empreinte, une époque restée en suspens, des décors infusés par le temps avec des feuilles d’or ; j’étais tout en émoi. J’avais vraiment l’impression d’avoir une partie de l’Histoire face à moi, que je pouvais toucher du bout des doigts. Ensuite, j’ai poursuivi mes études à l’École Bleue (école de design et d’architecture d’intérieur) parce que je voulais exploiter cette technique à d’autres fins que sur la couverture des livres. Pendant ces deux années, j’ai appréhendé d’autres matériaux, ce qui m’a permis d’avoir une autre perception des espaces, de découvrir plein de choses. Avec la culture du design et de l’architecture, j’ai pu aller vraiment plus loin et faire en sorte de trouver ma patte.

Pourquoi l’or ?

Ça fait forcément référence aux objets anciens, c’est quelque chose de prégnant. Rien que le fait de toucher la feuille d’or, c’est une approche très particulière à chaque fois. D’un point de vue technique c’est aussi très intéressant, parce qu’il y a quand même quelque chose qui se passe. Il y a un bon feeling ! (Elle sourit)

Et à côté de ça, le décor permet de vivre en fait. Il ya une dimension qui n’a rien à voir avec le même décor mais crayonné. Je veux vraiment apporter de la poésie, avec un aspect assez féminin, délicat. L’idée d’expérimenter sur des matériaux qui permettent d’avoir un résultat hors-normes me plaisait, mais c’est le dessin à la base, la démarche à travers laquelle je voulais m’exprimer. Lorsque je grave un décor en or, la lecture sera très différente qu’avec un autre matériau. Comme l’or reflète particulièrement bien la lumière, on va avoir un dessin hyper poétique, qui s’allume. Les dessins s’animent au contact des rayons et laissent place à de réels décors mouvants.


Est-ce un secteur en disparition ou en expansion ?

Je dirais plutôt en disparition. Je me suis totalement approprié cette discipline, c’est une démarche extrêmement personnelle. Je dessine et je grave mes dessins en or, en argent, parfois avec de la couleur. Je collabore depuis 15 ans avec de très belles maisons, même à l’étranger. Elles me sollicitent pour ce savoir-faire mais aussi pour mon univers. Bien avant ça, j’ai tout de suite su qu’il y avait quelque chose à faire avec cette technique ; je la trouvais déjà merveilleuse et surtout, c’était une vraie niche.

Tu n’as pas pris peur quand il a fallu se pencher sur ce métier ?

Comme j’étais un peu déjantée, j’y suis allée. J’aime le risque ! Il faut oser et je ne lâche rien, donc la peur n’était pas à l’ordre du jour. Mais évidemment, comme partout, il y a des hauts et des bas, typiquement avec le Covid. Puis, je parlerais plutôt d’impatience. Parfois, lorsque certains beaux projets sont discutés, la mise en place et les démarches prennent du temps, et parfois plus que prévu… Il faut savoir se gérer.

D’ailleurs, est-ce un métier où il existe un genre prédominant ?

C’est un milieu très masculin. Il y a 20 ans, quand j’allais voir des doreurs, c’étaient des messieurs d’un certain âge, de vrais archétypes de l’artisan. Je n’ai pas été très bien reçue, en toute honnêteté. On m’a demandé pourquoi je ne voulais pas plutôt travailler dans la pub… Je pense qu’ils ne comprenaient simplement pas ma démarche. Aussi, je respecte tout à fait cet artisanat, mais je ne m’y identifie pas et ce n’est pas grave !

Comment tes proches ont-ils réagi quand ils ont appris que tu allais te lancer dans ce secteur en tant qu’indépendante ?

Ils n’ont effectivement pas compris, mais maintenant ils sont quand même fiers de moi. Je leur ai prouvé que, contre toute attente, c’était possible. Mais ça n’a jamais été un frein. Maintenant, je me projette aussi en tant que maman et, en effet, je ne suis pas certaine d’être très enthousiaste si mes enfants empruntent ce chemin-là. (rires)


Quelles sont tes influences ?

Je puise l’inspiration à travers toutes les formes d’art ! Mes influences dominantes résident cependant dans la littérature, surtout de la fin du XIXe – début XXe siècle. Je suis également très inspirée par la musique. J’ai 4000 vinyles à la maison, une grosse collection ! J’ai besoin de la musique, grâce à elle je vis des émotions fortes. Les voyages ont aussi une répercussion sur mon univers ; je me nourris des environnements qui me fascinent et me transportent !

Y a-t-il des limites à la gravure en termes de technique ? Quelle est la particularité du travail de l'or ?

Complètement, il existe plusieurs formes d’or. J’utilise des feuilles ou du film en fonction des matériaux sur lesquels je grave ; je dois toujours m’adapter pour répondre à tous les critères qui me sont imposés. Il y a aussi certaines surprises ; sur certaines matières, le résultat peut être moins pérenne. Mais à ce moment-là, c’est aussi mon travail de proposer des solutions, de partir sur autre chose ou d’adapter ma technique, mais ça, ce sont mes petits secrets…

Comment t’entraines-tu ? Tu effectues tes essais avec de l’or également ? Pour s’entraîner à graver de l’or, on fait comment ?

Je fais tous mes essais en or et ça a été un problème au début. C’est un investissement et parfois les clients ne se rendent pas forcément compte de la valeur de l’échantillon. Je suis quasiment systématiquement obligée de réaliser un prototype, où 40% est fait avec de l’or, afin qu’on puisse se rendre compte du rendu.

C’était comment à tes débuts ?

Mon premier projet était le fruit d’une collaboration avec Balenciaga, pour un défilé en 2007. Je devais décorer le col d’un blouson pour homme. C’était un décor assez conséquent avec un thème imposé : le Maghreb. C’est ainsi que j’ai commencé ma carrière si on peut dire.

Ensuite, je démarchais énormément. J’étais jeune et peut-être un peu maladroite, je voulais que ça aille assez vite et je ne prenais pas forcément le temps de réfléchir à tout. Beaucoup de coups de fil, je me déplaçais sans cesse, j’avais pas mal de rendez-vous, jusqu’au jour où je suis tombée enceinte de jumeaux. Là c’était une autre histoire, c’était vraiment difficile. Mais j’ai quand même eu la chance d’avoir des clients fidèles, qui ne m’ont pas lâché. Grâce à ça j’ai pu perdurer, donc merci à ces clients historiques ! (rires)

Quels étaient tes premiers clients et comment as-tu fait pour te faire connaître ?

La dorure c’est un milieu très petit, et j’ai tout de suite perçu la dimension artistique qu’il y avait à exploiter. Et ça passe par le démarchage. Quand je me suis lancée, j’avais démarchée Colette pour graver des initiales en or. Le projet a séduit, j’ai donc commencé à graver dans un cadre relevant de l’événementiel. À Paris en tout cas, je suis en quelque sorte précurseur ! (rires)


Respectes-tu un mouvement artistique particulier ou tout ne dépend que de la commande passée ? (réalisme, abstraction géométriques)

Le style Art Déco m’influence, j’adore retrouver l’équilibre des formes et ça peut parfois tourner à l’obsession ! Les pleins, les vides ; c’est le côté École Bleue qui parle (rires), cette vision à travers le prisme de l’architecture. Le pointillisme aussi, que j’adore. Comme je suis très romantique, j’aime les jardins anglais, la végétation ; je vais vers quelque chose de très bucolique et assez enfantin. Parce que je retrouve quelque chose de pur, encore une fois, dans ce savoir-faire et ce style est très épuré justement.

Tes œuvres ont déjà été exposées dans différents endroits, ont-elles un but autre qu’esthétique ?

Quand je dis “beau” il faut qu’il y ait une harmonie entre les formes, que le résultat puisse apporter de l’émotion évidemment. Mais il faut aussi que ça raconte une histoire, qu’il y ait de la vie. Effectivement ça peut paraître assez superficiel de prime abord, et pourtant ça permet de donner une seconde vie à un objet, une pièce. C’était l’idée que j’avais de base quand j’étais étudiante, qui me séduisait beaucoup. Et puis parfois quand je fais des événements, les gens viennent me voir pour me dire : “Je pourrai vous regarder pendant des heures !” comme si je les hypnotisais, ça doit posséder une réelle valeur thérapeutique.

T’est-il déjà arrivé de travailler sur un projet qui est différent de ce que tu as l’habitude de faire ? Où tu t’es trouvée un petit peu bousculée ?

Alors oui, complètement. Mais le client connaît déjà un petit peu mon style et sait ce qui peut découler d’une potentielle collaboration. Mais c’est arrivé il y a deux ans, pour un projet avec Pullman à Dakar. J’avais 3 jours pour faire une tête de lion. C’était pour le hall de l’hôtel et je n’avais pas trop d’idées, tout était en urgence. La marche à suivre, c’était de commencer le décor à Paris et le terminer à Dakar. J’ai pu présenter 3 têtes avec un style Art Déco et ça a été validé. C’est typiquement le genre de challenge que j’aime relever !

Cela t’est déjà arrivé de devoir mettre en suspend un projet parce que tu n’avais pas d'inspiration, ou parce que tu étais trop tendue pour dessiner et graver ?

Bien sûr, mettre de côté un projet pour y revenir plus tard, quitte à travailler toute une nuit par exemple, c’est déjà arrivé. Parce que j’avais pas la niak, ou les yeux fatigués tout simplement. C’est éprouvant aussi. Pour les fresques parfois je me retrouve contorsionnée ou à ramper comme un serpent… Puis je repense à Michel Ange avec sa bougie dans sa chapelle ! (rires)


Comment voudrais-tu qu’on te décrive en tant que professionnelle, sur quels points doit-on insister quand on pense à Lucie Monin ? Résume-nous ça en 5 mots !

Poésie, féminité, préciosité, singularité et voyage. Voyage dans tous les sens du terme !

Quels sont tes projets ?

Le champ des possibles est vraiment très très large. À l’heure actuelle il y a plusieurs axes ; la mode, plutôt la haute couture disons, où je peux travailler sur des collections capsules, des pièces d’exception, des commandes spéciales pour des défilés ; l’événementiel, où je peux graver des petits décors, donner un atelier ; la déco et architecture d’intérieur, où je peux graver sur pas mal de matériaux. En ce moment par exemple, je travaille sur du plâtre et du textile. Il peut s’agir de grandes surfaces (fresques) ou bien, sur de plus petites. Tout ça, que ce soit en France ou à l’étranger. Les possibilités sont quasiment infinies, tout dépend de la volonté du client.

Quel projet t’a pris le plus de temps en termes de réalisation technique ?

Généralement, ce sont les fresques qui demandent du temps, c’est à peu près 60 heures de travail. Un projet se déroule en trois étapes. D’abord, je fais toujours 3-4 propositions graphiques, l’une est validée ou à retravailler ; ensuite c’est très simple, je passe au crayon et enfin à l’or.

Quel avenir te souhaites-tu en tant que doreuse ?

J’aimerai pouvoir rayonner à l’étranger ! Parce que justement les voyages apportent beaucoup. Je suis persuadée que je dois travailler avec le monde, avec d’autres cultures, j’en ai vraiment besoin. Je souhaite avancer avec des personnes qui m’inspirent, parce que le monde n’est fait que de rencontres, de voyages, de belles choses et de passions. Des projets toujours de plus en plus fous, où je m’amuse ! Aussi, un de mes rêves serait de pouvoir intervenir dans tout un espace, une petite pièce, où on viendrait découvrir du sol au plafond des décors, de la dorure avec une continuité sur tous les objets qui habillent ce même espace !

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